Comment réduire l’impact environnemental de notre alimentation ?
S’alimenter, un acte aussi naturel que vital pour nous même et…tout le vivant !
En nous alimentant, nous nous plaçons dans la chaine alimentaire. L’humain s’est d’ailleurs depuis longtemps hissé au sommet de celle-ci en organisant, adaptant et pilotant des écosystèmes entiers pour produire sa nourriture. La question de l’impact écologique de notre alimentation est donc capitale. Pourtant, nous nous sommes peu à peu détachés de sa production, tant cette dernière a été industrialisée et semble désormais bien loin de notre quotidien.
Ecoutez l’interview d’Olivier Duchêne :
Olivier, comment qualifieriez-vous notre rapport à l’alimentation aujourd’hui ?
C’est un rapport très distant ! Nous nous sommes éloignés de ce que nous mangeons. L’exode rural des XIXe-XXe siècles et l’industrialisation ont créés des produits dont nous ne comprenons plus la conception, créant ainsi des pôles urbains coupés des campagnes. Rien que dans les années 1980, environ 10% de la population avait un emploi lié à l’agriculture, aujourd’hui, le pourcentage oscille entre 1 et 2%. L’agriculture intensive et l’industrialisation massive après la 2de Guerre Mondiale ont répondu au défi de produire en quantité. Toutefois, nous nous rendons compte aujourd’hui que l’impact sur l’environnement et la qualité de notre alimentation est énorme, et souvent très négatif. De plus, avec la mondialisation, de nombreux produits du bout du monde sont arrivés sur nos étales, tant et si bien que nous ne savons plus vraiment l’impact que leur production et leur acheminement impliquent pour l’environnement et les agriculteurs des pays exportateurs.
On comprend bien qu’une distanciation entre l’assiette et le champ s’est développée avec le temps mais justement quels sont les impacts de cette industrialisation de l’agriculture sur notre environnement ?
On constate, tout d’abord, un appauvrissement de nos sols et de la biodiversité. Rien qu’en prenant l’exemple de la diversité végétale, on recense dans l’histoire environ 7000 espèces nourricières pour l’Homme. Aujourd’hui, seules une quinzaine de plantes génèrent 80% de l’alimentation mondiale dont le maïs, le riz et le blé qui fournissent à elles-seules plus de 50% des calories alimentaires humaines. La réduction est donc énorme et elle se ressent aussi au sein même des espèces. En 2010, la FAO évoquait une perte des trois quarts de la richesse de nos variétés. Pourtant, cette biodiversité est un vrai levier d’adaptation aux évolutions du climat. Ensuite, il y a une pression sur les ressources naturelles, nous sommes passés d’énergies renouvelables locales (force animale, force humaine) à des énergies fossiles, non renouvelables. On ne parle pas ici uniquement de l’agriculteur qui utilise un tracteur dans son champ mais aussi de tout le processus industriel pour fabriquer les produits transformés. Les énergies fossiles, nous ont, certes, permis d’être plus productifs mais elles contribuent à la pollution et s’amenuisent avec des conséquences sur toute la biosphère. Il y a donc un vrai problème systémique, c’est tout un système qu’il faut changer. Et bien-sûr il faudrait aussi parler de toutes les pollutions générées par ces systèmes…
On comprend donc que valoriser une agriculture et une production résiliente est indispensable. Peut-on considérer que le « consom’acteur » a un rôle central à jouer dans la transition ?
On a l’impression que tout repose sur les épaules du consommateur alors que c’est beaucoup plus complexe que ça. Le consommateur a besoin d’avoir des informations claires et complètes sur le produit acheté, mais l’interprétation de ces informations demande d’avoir une très bonne connaissance du sujet qui englobe, lui-même, beaucoup de thèmes très différents (agriculture, écologie, technologie, économie,…). On ne peut pas raisonnablement demander aux consommateurs d’avoir une maîtrise parfaite de tout cela, ce n’est pas possible.
Pour illustrer mon propos, l’ADEME (Agence de la transition écologique) a fait des simulations sur les pratiques à mettre en œuvre pour limiter le réchauffement climatique à 2°C, pour cela, il faudrait que chacun passe d’une émission de 10 tonnes de carbone par an à environ 2 tonnes. La réduction est énorme ! L’un des leviers c’est l’alimentation. Un régime alimentaire avec seulement 3 repas par semaine avec de la viande (1 viande rouge et 2 viandes blanches), zéro déchets, et avec 2 fois moins de boissons sucrées et alcoolisées, permettrait de diviser par 2 le bilan carbone de l’alimentation. Toutefois, même en faisant cela sur les 8 tonnes, vous n’avez fait que 15% du chemin. Le reste implique nos modes de vie à l’occidentale : les énergies pour le chauffage, votre transport (voiture, avion) et lorsque que vous avez mis tout ça en place, alors la moitié du chemin est faite. Tout le reste concerne les infrastructures, les industries, les services, etc. Autant d’éléments qui ne dépendent pas de votre attitude de consommation mais qui nécessitent des changements structurels profonds.
Au niveau de l’alimentation, quelles sont concrètement les solutions à mettre en place pour limiter l’empreinte environnementale de nos assiettes ? On entend souvent parler du local, de la consommation de viande, quels sont les éléments à impact ?
Le local est un très bon exemple. Comme on le disait précédemment, il faut prendre en compte l’ensemble du processus de production. Sachant que le système alimentaire génère 1/3 des émissions de gaz à effet de serre, seuls 10% sont liés au transport. Donc, du local oui, mais il y a beaucoup d’autres critères à prendre en considération afin que l’impact soit réel, notamment la méthode de production. En revanche, le local permet assurément de renouer le lien entre le consommateur et toute la chaine alimentaire.
La consommation de viande, quant à elle, est un sujet très polémique en ce moment. S’il y a débat sur certains aspects, il y a aussi consensus sur d’autres et notamment sur le fait que les animaux ont un rôle à jouer en écologie et en environnement.
Le 2d point de consensus, c’est que la méthode de production actuelle intensive et qui ne se soucie pas du bien-être animal doit disparaître. Le 3e point est qu’il va falloir réduire drastiquement notre consommation de viande. L’enjeu est aussi de repenser notre relation à l’animal. Nous devons sortir de la logique de domination du vivant et apprendre à concevoir les choses qui nous entourent comme un ensemble d’être vivants, dont nous faisons partie, plutôt que comme des instruments à exploiter.
Il y a un autre mot aussi qu’on entend beaucoup c’est ultra-transformation. Qu’entend-on par ultra-transformation et qu’est-ce que cela implique pour l’environnement ?
A l’inverse d’un produit brut qui sort du champ et se retrouve dans la foulée sur nos étales, les produits ultra-transformés, eux, vont passer par un process industriel complexe. Ils sont décomposés afin d’extraire leurs composantes internes puis réassemblés avec d’autres pour créer ainsi de nouveaux produits. Cela pose 2 problèmes, déjà d’un point de vue nutritif, si on prend l’exemple d’une pomme de terre dont on souhaiterait uniquement extraire la fécule, alors le potentiel nutritif du produit se retrouve altéré. Le 2d problème concerne l’environnement. En effet, la réalisation du process industriel demande une énorme quantité de ressources (énergétique, humaine, en eau, en transport, etc). Limiter sa consommation de produits ultra-transformés c’est donc aussi limiter son impact sur l’environnement.
Et le bio dans tout ça, quel est l’intérêt d’un point de vue environnemental ?
D’un point de vue environnemental, il est clair que l’arrêt d’utilisation de pesticides serait une grande avancée ! Déjà puisque leur fabrication nécessite un process industriel énergivore mais aussi pour protéger tous les organismes vivants qui sont lourdement impactés. Il faut savoir que près de 64% des terrains agricoles sont concernés par des concentrations de pesticide supérieures à des concentrations sans effets. Le bio est donc un vrai levier pour sortir de cette logique. Néanmoins, les rendements en bio sont inférieurs à ceux du conventionnel, il faut donc pouvoir le vendre à un prix à la hauteur des efforts fournis. Tout cela nécessite de l’accompagnement car on a tous intérêt à vouloir une société sans pesticides et engrais de synthèse.
Dernière question, on entend de plus en plus parler de diversification alimentaire, peux-tu nous expliquer son impact sur l’environnement ?
Nous avons parlé plus haut de l’agriculture intensive et l’utilisation d’intrants pour obtenir de meilleurs rendements. Les conséquences s’en ressentent aujourd’hui. Si un agriculteur se spécialise en monoculture, année après année, alors son sol s’appauvrit et il s’expose à tout un tas d’agents pathogènes difficiles à maîtriser. Pour les traiter, il utilise des produits phytosanitaires et c’est le cercle vicieux.
Une expertise scientifique phytosanitaires a récemment été publiée par l’INRAE* et elle explique très clairement que la diversification apporte aux cultures des régulations naturelles qui permettent de se passer plus facilement des pesticides.
Concrètement, cela consiste à cultiver plus de plantes différentes, à utiliser des couverts végétaux, à limiter les sols nus, ou encore à pratiquer de l’agroforesterie en incluant des arbres dans le système agricole.
Il y a toutefois un vrai système à mettre en place pour inciter les agriculteurs à développer des cultures différentes. Il est clair qu’un agriculteur ne se tournera pas vers une culture de petit-épeautre qui a cinq fois moins de rendements que le blé si son prix de vente ne lui permet pas de vivre. En tant que consommateur, diversifier son alimentation appuie le développement de nouvelles filières, permettant ainsi aux agriculteurs de trouver des débouchés sur des cultures moins «classiques». En bref, il y a dans notre assiette le résultat de tout un système de production, et nous devons essayer de faire en sorte que le résultat soit cohérent avec un monde bon à vivre, et non à vendre.
*Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement.
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